Interview d’Olivier Gathy (Grandes cultures)

Grandes cultures – Olivier Gathy

La ferme Gathy à Acosse possède 90 hectares de grandes cultures et prairies permanentes et un petit cheptel d’une vingtaine de têtes d’Angus. Une surface de 1 hectare est dédiée à la production de fruits et légumes sans intrants chimiques. L’exploitation est de type conventionnel raisonné (rotation, variétés, autonomie fourragère, techniques culturales, plantation de haies, aménagement du territoire, etc..) pour diminuer l’utilisation d’intrants chimiques et l’impact sur l’environnement.


1) Selon vous, pourquoi est-ce important de mieux faire connaitre votre métier aux consommateurs ?

« Parce que le consommateur est complètement déconnecté de la vie réelle. Dans le choix de ses produits, il ne fait plus tellement attention à ce qu’il achète. Avec la crise économique actuelle, cela est de pire en pire. On cherche un prix, on ne cherche pas nécessairement un produit de qualité, on ne regarde pas nécessairement d’où il provient… Je pense qu’ils sont un peu déphasés avec la crise et qu’il est grand temps de remettre les choses au point. Par exemple, nous avons eu un petit magasin à la ferme avec des productions locales. Plus locales que cela, ça n’était pas possible et on a dû fermer. Les consommateurs se sont réorientés vers les grandes surfaces. Vers des produits de moins bonne qualité mais à un niveau de prix meilleur marché. Mais au niveau rapport qualité-prix, je suis intimement convaincu qu’ils se trompent. Mais le rabattage médiatique et les publicités des grandes chaînes de distribution font en sorte que le consommateur s’oriente vers eux. Des producteurs locaux et les productions locales n’ont pas les mêmes moyens pour la publicité évidemment, et les mêmes moyens pour faire connaître leur produit. »

2) Quel est le sujet sur lequel il vous parait le plus important de combattre les préjugés ?

« Pour moi, c’est que l’ensemble des consommateurs ont l’impression que le local est plus cher alors que ce sont des préjugés. Par exemple, une côtelette de porc chez un boucher ou un chez un producteur de porc si c’est bien suivi, avec une, on en a assez. Dans les boucheries de grandes surfaces, elle diminue de moitié de volume à la cuisson et avec une, on n’en a pas assez, il en faut deux. C’est vrai qu’une côtelette au supermarché coûte moins cher que celle du boucher mais il en faut deux donc, in fine, ça devient plus cher. Au niveau des pains fabriqués à l’ancienne, dans une boulangerie industrielle, il n’y a pas photo non plus. Les pains fabriqués de manière industrielle, il faut cinq tranches pour être rassasié. Mais quand vous avez un pain, qui coûte plus cher à l’achat certes, mais qu’avec deux tranches, vous n’avez plus faim, in fine, il est meilleur marché. C’est un constat que l’on a fait ici, au magasin. Les gens qui aiment la qualité paient un peu plus cher pour de la qualité mais ils ont moins besoin de manger pour être repus. Le calcul final fait que ça n’est pas moins cher, mais ça n’est pas plus cher non plus. »

3) Quel est le sujet sur lequel la position de la société a évolué positivement ?

« Comme cela, je n’en vois pas. Evolué positivement, non. Je suis déçu tous les jours qui passent par les réactions des gens. Je cherche, mais je ne trouve pas. Par rapport à notre métier, en tout cas. Ils se détournent beaucoup des productions locales. Quand on entend sur un an, le nombre de petits magasins, dont ils se sont détournés, et qui ont fermés… J’ai l’impression qu’on les gêne beaucoup. Maintenant, il y a peut-être une tranche de la population qui a changé sa façon de voir les choses mais de manière générale, je suis déçu. Ici, dans mon village, je n’ai pas à me plaindre. J’ai invité mes voisins et j’ai partagé ma manière de travailler avec eux. Mais quand j’entends mes collègues, c’est une catastrophe. J’aimerais bien être optimiste mais je pense que n’importe quelle structure, ASBL ou société, qui essaie de mettre en avant les produits locaux n’aura jamais le même impact auprès des citoyens que les agriculteurs eux-mêmes. Mais c’est difficile avec le travail qu’ils ont, le peu de facilité de communiquer avec l’extérieur, mais c’est à l’agriculteur de remettre les choses au point. Quelques-uns sont prêts, ceux qui font partie du Collège des producteurs, ce sont des gens qui sont assez dynamiques, qui n’ont pas trop de problèmes pour communiquer. Mais si on prend, de manière générale, les citoyens et, en général, les agriculteurs, ils ne savent pas tellement bien s’entendre ni se parler. Quand il y a des Fermes Ouvertes, il y a un contact entre les producteurs et les citoyens qui font la démarche mais cela reste une part infime de l’ensemble des consommateurs et de la population. Même si on a 2000 personnes pour une Ferme Ouverte, par rapport au nombre d’habitants que l’on a en Wallonie, ce n’est pas grand-chose. Par rapport à mon village, je n’ai vraiment pas à me plaindre parce qu’il y a une partie qui a été déçue quand on a fermé le magasin. Mais il y a une partie qui n’ont jamais franchi la porte non plus. Tout le monde a repris ses habitudes. On a eu une expérience positive jusqu’en février de cette année puis avec la guerre en Ukraine et le pouvoir d’achat qui a diminué, cela a été vite réglé. Les priorités ont changé. Je le comprends et je ne jalouse pas, je ne critique pas. Les gens font ce qu’ils veulent et la vie est difficile donc quand ils ont les moyens, ils préfèrent partir en vacances et changer de voiture que de se nourrir correctement. C’est la crise, c’est le pouvoir d’achat mais tout le monde part en vacances. S’ils peuvent y aller, tant mieux. Mais on a tout fait pour leur proposer des produits de qualité, une façon différente de consommer, revenir auprès des producteurs locaux et des productions locales, tout ça pour éviter de faire faire des kilomètres, des milliers de kilomètres à la nourriture avant de la consommer. On leur a donné le choix, ils n’ont pas sauté dessus donc qu’ils ne viennent plus se plaindre. Ils ont choisi l’agriculture conventionnelle à grande échelle. Par leurs choix d’achat, ils ont tiré un trait et tirent, encore, un trait sur les productions locales, sur les productions bio. Cela fait 15 ans que l’on nous rabat les oreilles en disant « Produisez local et on consommera local ». Mais non, ce n’est pas vrai. Quand il y a un problème financier derrière, tout ça, ce sont des belles paroles qui volent en éclat à la première crise, à la première difficulté financière au niveau du ménage. Le Collège des producteurs et plusieurs organismes, on travaille dans ce sens-là : faire de la promotion, faire des films, en discuter… « Il faudrait que tout le monde passe bio, que tout le monde soit bio et on consommerait bio… », mais je vois que les gens qui sont en bio commencent à avoir du mal aussi. A part les grosses structures qui savent rentrer dans les magasins, dans les grandes et moyennes surfaces. Le petit producteur bio qui vend chez lui, il n’en peut plus. C’est le citoyen qui a décidé, à travers ses choix d’achat selon moi, de nous faire abandonner ce vers quoi on allait. Et faire marche arrière va être compliqué. Quand on avait commencé le magasin, on était relativement satisfait parce que cela ne fonctionnait pas trop mal. Avant covid, on avait une fréquentation qui augmentait de semaine en semaine et les gens étaient contents. C’est très compliqué, je ne vois pas ce que l’on pourrait faire pour inverser la tendance. Pour le moment en tout cas. Mais il y a du boulot et les médias ne nous aident pas beaucoup. Je suis de nature optimiste, j’espère toujours que cela va s’arranger mais pour le moment, je ne vois pas très bien comment. Et quand je vois toutes ces personnes qui ont investi énormément dans leur production. Parce qu’à chaque fois que l’on change de production ou que l’on en amène une nouvelle, c’est du matériel différent, ce sont des serres, de l’irrigation… parfois pour des productions que l’on vend sur un court laps de temps. Alors qu’en grande surface, vous avez des tomates toute l’année. Ce que l’on a remarqué aussi c’est qu’on avait des tomates, des salades, etc. Mais que les consommateurs qui ont choisi de venir chez nous en avaient aussi dans leur jardin. A part ceux qui font cela à grande échelle et qui font partir leur production dans les grandes chaînes, tout en étant labellisés local, ils ont des coûts de productions moins élevés donc leur prix tient la route. Cela fait des années que je le dis : au lieu de se mettre chacun dans son coin, si on se mettait tous ensemble dans des moyennes surfaces. Je pense que l’on serait plus attractifs au niveau du consommateur. Les magasins à la ferme, cela n’ouvre pas longtemps, 2 ou 3 jours par semaine, de 16h à 18h parce que l’on est dans les champs, que l’on doit s’occuper du bétail. Le consommateur, un de ses objectifs aussi c’est, durant une demi-heure, de faire ses courses dans une grande enseigne car les magasins locaux ne sont pas accessibles. Si on faisait la démarche de se grouper, on deviendrait « des grandes surfaces » aussi ».