Interview d’Olivier Mathonet (Aquaculture)

Mathonet – KR effectif

Pisciculteur à Malmedy, dans le village de Pont, au confluent de l’Amblève pour la filière conventionnelle et du Ru de Recht pour la filière BIO BELGE. Olivier Mathonet dispose également d’un atelier de préparation agrée par l’AFSCA pour la préparation et la transformation des produits de la pêche.

1) Selon vous, pourquoi est-ce important de mieux faire connaitre votre métier aux consommateurs ?

« Il y a une réelle demande des consommateurs pour plus de transparence dans leur assiette. Dans mon cas, ils me demandent comment sont élevées les truites, quelles sont les contraintes de mon métier, avec quoi je les nourris, combien de temps elles mettent à grandir, et ce de l’œuf jusqu’à la taille adulte, … Toutes des petites questions comme celles-ci et les réponses que nous leur apportons leur permettent de mieux comprendre et de se réapproprier leur alimentation. Nous ne sommes plus à leurs yeux juste une barquette ou une référence avec un code barre dans une enseigne de distribution. De plus en plus de gens se rendent compte des contraintes de notre travail travail, du suivi constant que nécessite les produits agricoles, cela apporte vraiment un plus. De plus, cela permet également d’éviter les confusions qui circulent. En effet, aujourd’hui les informations erronées circulent très vite au travers d’internet, avec l’agribashing, par exemple, mais j’y reviendrai plus tard. Pour revenir à la question, il y a une réelle demande du consommateur de s’informer et ne pas « mourir idiot ». Selon moi, ce sont des informations qu’il est primordial de leur apporter car s’ils nous font confiance pour nourrir leur famille avec nos productions agricoles. Dès lors, la moindre des choses c’est d’être transparents dans nos explications. »

2) Quel est le sujet sur lequel il vous parait le plus important de combattre les préjugés ?

« Pour des agriculteurs normaux, on entend beaucoup « Ils vivent que des primes ». Nous, nous sommes un secteur un peu plus particulier, difficile, qui n’en bénéficie malheureusement pas… Nous avons des aides à l’investissement mais pas de primes récurrentes comme certains secteurs agricoles. Je ne vais pas parler de préjugés mais plutôt de la compréhension des consommateurs que notre métier, notre revenu, ce qui va permettre de produire leur alimentation, est directement dépendant de la nature. Pas de produits phytos, pas d’accélérateurs de croissance, pas de poudre magique … Cela reste un travail de la terre, de l’eau, des animaux vivants, au quotidien. C’est un suivi constant de la vie, de la vie que l’on produit, que ce soit un animal ou de toutes les productions agricoles. Nous travaillons du vivant en continu et on peut donc malheureusement tout perdre sur une nuit : un orage, une inondation, le feu dans l’étable … J’en reviens à la première question, quand on explique au consommateur tout le cheminement, le cycle d’élevage des animaux que l’on élève, ils ne se rendent pas compte que lorsque l’on a un épisode malheureux… Je vais prendre le cas des piscicultures et de la sécheresse en été, par exemple. Trois semaines après, il a plu, et pleins de clients sont venus me dire « Et bien, il a plu ! Tu sais faire la vidange des étangs… ». Malheureusement non, quand on voit le faible débit actuel, nous sommes vraiment très loin des débits moyens enregistrés les dernières années. On va vers des périodes assez compliquées, à mon avis, pour le climat en Europe. C’est peut-être mon côté pessimiste, mais les gens pensent que c’est parce que l’on n’a pas envie de travailler ou que l’on ne sait rien faire. Mais non, nous sommes vraiment dépendants du climat et chaque chose, chaque animal, chaque être-vivant même végétal, après des périodes stressantes ou angoissantes, dangereuses ou difficiles climatiquement, doit se remettre. C’est aussi simple que cela. C’est la même chose pour un être humain après une grippe. En effet, même si le lendemain on a plus de fièvre, on n’est pas à 150% dans son travail. Il y a également la question de l’agribashing. On voit beaucoup de choses circuler sur internet qui font, franchement en tant qu’agriculteur, beaucoup de mal. Même si ce n’est pas dans notre secteur, pas dans notre pays, pas dans notre région, quand on voit des campagnes de dénigrement de certaines personnes qui « n’y connaissent pas grand-chose » ou ne sont pas tous les jours sur le terrain, cela blesse. Cela fait mal car je pense qu’il y a essentiellement deux démarches pour être agriculteur de nos jours : soit vous êtes passionné, soit vous avez une tumeur qui pousse sur la zone logique de votre cerveau. Parce que des métiers avec de tels horaires, de telles contraintes, c’est, dès fois, très difficile à vivre. Et avoir des gens qui démontent le travail de toute une vie, et souvent des générations précédentes, simplement parce qu’ils ont cru avoir lu sur un réseau social que l’on travaille comme cela, avec ceci ou cela… Je vais prendre l’exemple des vaches et du méthane, selon lequel « les pets de vache », ça pollue, que c’est cela qui engendre la disparition de la couche d’ozone. Ce genre de choses est complétement aberrantes. Pour la pisciculture, nous entend que c’est avec l’aliment que l’on utilise que l’on pollue l’eau… Pourtant, nous sommes les premiers témoins des problématiques de nos rivières. On le voit directement, le moindre pépin et c’est notre cheptel qui en souffre. Généralement, il y a des piscicultures en aval ou d’autres utilisateurs de l’eau, en aval. La réglementation nous impose d’assurer que l’eau soit de même qualité, à l’entrée et à la sortie de nos exploitations. Si on travaillait de manière inadéquate, cela ferait déjà longtemps qu’on ne serait plus là, que ce soit en matière de qualité de produit, de santé animale ou de l’impact environnemental de nos rejets. De plus, il existe des règlements dans nos pays qui sont les plus strictes au niveau européen. Et au niveau de l’Europe, on est un cran au-dessus du reste du monde. Par exemple pour l’aquaculture, certains préjugés nous mettent au même niveau que les crevettes produites dans les pays asiatiques. Pour la viande, le bovin, nous pouvons prendre l’exemple des élevages en Amérique latine où les vaches n’ont jamais vu de l’herbe de leur vie et ce genre de choses… On est, avec nos structures de fermes en Wallonie, à l’opposé de cela. Dès lors, des événements, tels que ceux résultant de collaborations avec l’Apaq-w, comme les Fermes Ouvertes sont vraiment très importants. Faire découvrir aux consommateurs, aux familles qui mangent nos produits, comment ceux-ci arrivent dans leurs assiettes, sont élevés, sont cultivés, sont fabriqués, sont conçus. Ce qu’il faut combattre ce sont les préjugés et les fausses informations ».

3) Quel est le sujet sur lequel la position de la société a évolué positivement ?

« Jusqu’il y a peu, avant la conjoncture sociaux-économie que nous connaissons actuellement, les consommateurs et les habitants de notre région s’intéressaient aux produits du terroir et aux circuits courts. Cela évolue toujours dans le bon sens et il y a toujours une envie des consommateurs de moins manger mais de mieux manger, d’être plus éthique, tout en contribuant à l’économie locale. Malheureusement, depuis mars-avril, nous avons commencé à ressentir l’affolement que l’on avait connu pendant le Covid où nous étions considérés presque, par beaucoup de consommateurs, comme une sortie. Les consommateurs se rendaient à la ferme plutôt que dans les rayons de telle ou telle enseigne de distribution afin de passer le temps. Durant la phase Covid, beaucoup sont venus dans les exploitations agricoles s’approvisionner directement pour prendre l’air et voir un petit peu autre chose. Malheureusement depuis le début du conflit en Ukraine, le climat géopolitique et économique mondial a fortement ralenti cette démarche positive de la société pour les circuits courts et les produits du terroir. Pour quelle raison ? Simplement l’augmentation du coût de la vie. J’ai accès, en tant que transformateur, à tout ce qui est données de production : coûts d’emballage, logistiques, … ce genre de choses. Quand je vois, par exemple, une pizza surgelée en rayon de distribution. Je fais le calcul inverse. Je regarde le prix de la pizza, j’enlève la marge de la grande distribution, j’enlève le coût logistique, j’enlève le coût de l’emballage et je me demande combien il reste de cents pour les ingrédients que les gens vont manger. Malheureusement pas grand-chose et je me dis comment les enseignes font pour avoir de tels prix, aussi bas. Qu’est-ce que l’on met dans nos assiettes ? L’attrait pour les circuits courts, c’est très bien, ça continue mais suite à la conjoncture mondiale, on n’a pas de prises là-dessus et cela a fortement ralenti. Je vais expliciter un point plus spécifique à la pisciculture. Dans ma région, on voit souvent des fermiers qui postent des photos sur les réseaux sociaux de vaches qui sont mortes parce qu’elles ont mangé un morceau de cannette qui a été jetée par une personne qui passait sur le champ. La cannette a été broyée lors du fauchage et donc, ça a engendré la mort de la vache. Concernant cette pollution environnementale. Une part importante de mon métier est la surveillance de l’alimentation en eau de ma pisciculture et donc, je fais ce que l’on appelle couramment dans le métier « les grilles ». Ce sont des grilles de filtration à l’entrée de chaque bassin de la pisciculture qui permettent d’empêcher tout ce qui est feuillage, branchage et détritus divers d’entrer, d’un, dans la pisciculture et de deux, dans les bassins d’élevage. Il s’agit donc d’une activité journalière en automne. J’ai déjà fait cinq ou six rondes depuis cette nuit car nous avons eu de gros orages et beaucoup de feuilles d’arbres sont tombées et il faut les retirer. Quand j’ai commencé le métier en 2004, je ramassais fréquemment des poubelles, des cannettes, des bouteilles d’alcool, des flacons d’adoucissant lessive… de tout. Et, forcément quand je les filtrais, je les extrayais et je les mettais dans mon container à déchets. Je « dépolluais » la rivière. Depuis cinq à six ans, je constate une énorme diminution de tous ces détritus qui sont jetés, au départ au bord des routes et qui finissent dans nos rivières. Les campagnes de protection de l’environnement, notamment celle menée par le contrat de rivière Amblève dont on est partenaire ou les campagnes d’affichage dans les villes, devant les bouches d’égout qui signalent « Ici commence la mer » ont un impact positif. Les gens craignent les résidus de plastique qui se retrouvent dans les océans et que le poisson va ingérer sous-forme de micro-plastiques, mais également quand ils vont partir en vacances en Espagne et qu’ils risquent de retrouver des déchets dans la mer. Ils commencent à se rendre compte que chaque petit geste compte. Des structures sont mises en place comme les parcs à containers pour faciliter l’évacuation des détritus, malheureusement il y a toujours des gens qui abandonnent leurs poubelles au bord des routes et des autoroutes. Mais, je constate qu’il y a de moins en moins de personnes qui agissent de la sorte. Il reste des endroits où il y aura malheureusement toujours des déchets comme les Hautes-Fagnes. Durant le Covid, des campagnes de nettoyage ont eu lieu, avec plusieurs centaines de personnes pour nettoyer les Fagnes. Moi, je constate que dans la rivière, on ramasse de moins en moins de détritus. Cela résulte d’une conscientisation d’une tranche de la population qui se soucie de plus en plus de notre environnement. De plus, il y a de plus en plus de personnes qui s’intéressent à la qualité des produits qu’ils consomment et de leurs origines. Il y a des bonnes choses, des moins bonnes choses, des choses sur lesquels on a de l’emprise, d’autres sur lesquelles on n’en a absolument aucune. Comme pour beaucoup de nos producteurs, la chute des ventes en circuits-court nous impacte d’autant que les coûts de production notamment les intrants alimentaires et énergétiques augmentent. Ce phénomène est accentué par le manque de disponibilité de certaines enseignes qui pousse les consommateurs à s’orienter vers le hard discount… S’ajoute également les coûts logistiques qui accentuent encore plus vite cette tendance. Et oui c’est difficile de dire « Il faut arrêter ceci, arrêter cela ou aller plus en circuit-court » mais c’est une des raisons. Quel pourcentage de l’économie est représenté par ces familles qui tiennent une boutique du terroir, ce type de magasin qui commercialise les productions locales ? Ils ont néanmoins une place importante et prônent une manière de vivre et de consommer. Il est nécessaire de conscientiser les consommateurs à l’importance de ces circuits de commercialisation qui permettent de rendre disponibles les productions locales de qualité et cela permettra de renforcer le noyau économique local. »