Interview de Marc Rémy (Ovin-Caprin)

Marc Remy KR

Marc Rémy a repris l’élevage de famille depuis 1995 et tient à conserver cet esprit familial au sein de sa ferme. En 1998, il passe en élevage bio. Aujourd’hui à la tête d’un cheptel de 350 brebis, il possède également une douzaine de bovins.


1) Selon vous, pourquoi est-ce important de mieux faire connaitre votre métier aux consommateurs ?

« On a l’impression d’avoir perdu le lien consommateur-agriculteur. On dirait que les gens ne sont plus trop connectés. Avant, dans chaque famille, il y avait un agriculteur. Maintenant, le nombre diminue, on a l’impression qu’on est plus trop connus. Par exemple, quand je roule en tracteur, j’ai l’impression de gêner. Pourtant, on y est bien obligés, on travaille. Ce qui est bizarre, c’est que l’on travaille pour nourrir les gens et on n’est pas vraiment reconnu à ce titre-là. Mieux faire connaitre notre métier, c’est également afin de pouvoir valoriser nos produits. Et d’où l’importance de travailler en circuit court parce que parfois on peut vraiment rencontrer le consommateur final. On a parfois, l’impression que tout le monde marche sur la tête. Par exemple, on parle de bien-être animal et en même temps, on réintroduit le loup. Nous, en tant que secteur ovin, on ne voit pas du tout ça d’un bon œil, forcément. On nous parle, d’un côté, du bien-être animal et de l’autre côté, on réintroduit le loup qui mange l’animal d’une manière atroce. Et ça, « c’est la nature et ça va ». Parfois, on a du mal à comprendre l’évolution de la société. C’est mon point de vue ».

2) Quel est le sujet sur lequel il vous parait le plus important de combattre les préjugés ?

« Même en bio, il faudrait presque se cacher maintenant pour pulvériser. C’est vraiment une méconnaissance du secteur parce que même en bio, on peut très bien pulvériser mais avec des produits naturels. On peut utiliser le pulvérisateur pour une bouillie bordelaise ou quelque chose à base de plantes, qui est 100% naturel. Et on pourrait être agressé car on sort un pulvérisateur. On met tout le monde dans le même panier alors que c’est vraiment une méconnaissance. Par exemple, quand on va voir un agriculteur qui pulvérise à 5h du matin, on dit « il se cache », mais non. Il fait ça tôt au matin pour profiter de la rosée. Peu de gens savent qu’on doit pulvériser à la rosée pour éviter d’utiliser trop de produits. C’est vraiment une méconnaissance du secteur. C’est vrai que parfois les unités sont trop grosses aussi. On est parti, également, sur une dérive. Il y a des fermes qui sont des méga-fermes et cela n’est peut-être pas l’avenir, non plus. Et cela fait peur, si on veut venir installer un poulailler de 40.000 poules juste à coté de chez nous… On est peut-être partis dans quelque chose de trop industriel. Moi, je suis un petit producteur, bio et j’ai peut-être une autre vision. Je ne pense pas que la grosse agriculture industrielle soit vraiment l’avenir. Je dis souvent qu’on nous a poussé à produire chacun un truc. Moi je fais de l’agneau, quelqu’un d’autre fait du poulet, quelqu’un d’autre fait du cochon, quelqu’un fait du lait, … Et avant, c’était des petites fermes qui faisaient un peu de tout. Forcément, c’est parfois plus compliqué à gérer mais il y a toujours quelque chose qui va. Tandis que lorsque l’on fait du cochon, qu’il y a la peste porcine africaine et que tous les prix s’effondrent : On vit de quoi ? Quand il y a la grippe aviaire : On fait quoi ?… Avant, les agriculteurs s’en sortaient mieux, mais c’est mon avis personnel. Ceux qui font du commerce à la ferme essaient de produire un peu de tout, tout ce qui peut nourrir les gens. Parce qu’à la base, notre métier est de nourrir les gens, ça on a oublié aussi. Cela rejoint la première question mais il y avait eu la pièce « Nourrir l’humanité, c’est un métier », c’est vraiment ça. C’est notre métier de base. Tout cela, on perd de vue. J’ai été interviewé, il n’y a pas longtemps, pour la télé communautaire Boukè, anciennement Canal C. Je leur ai dit « On a besoin d’un agriculteur trois fois par jour : matin, midi et soir. Quand on déjeune, si c’est des céréales, ça a été produit quelque part, à midi pareil et au soir aussi. » Et ça, on l’oublie. C’est vrai qu’il faudrait revenir aussi, et ça a été un peu le cas lors de la crise Covid, à une production plus locale. Ici avec la Guerre en Ukraine, il faut reproduire localement ce dont on a besoin. On voit que lorsque l’on est dépendant d’un autre pays, c’est un risque. Tout ce qui était produit en Ukraine est en pénurie. Il faut essayer de revenir à une autoproduction locale. »

3) Quel est le sujet sur lequel la position de la société a évolué positivement ?

« Un retour, un peu, au commerce local. Mais le consommateur a vite oublié. Il y a eu des habitudes qui ont été prises avec la crise Covid mais quand ça va mieux… Et ici, avec la crise financière, les gens retournent chez Aldi ou Lidl. C’est vrai que quand on produit du bon, on est plus cher que les autres. Evolutions positives, je n’en vois pas 36. Je suis content d’approcher de la pension, et c’est ça qui est triste. Quand j’ai un jeune qui vient en stage, je me demande parfois ce qu’il faut lui dire. Ils sont motivés… Ce n’est pas évident de vivre de son métier en agriculteur. Est-ce qu’il faut le pousser ? Est-ce qu’il faut le freiner ? Il y a des jeunes qui rêvent debout, qu’est-ce qu’il faut faire ? Il faut briser leur rêve ? Ça n’est pas évident. Quand on réussit bien, c’est un chouette métier mais ce n’est pas facile. Et le problème est l’évolution des prix aussi. Par rapport à 20 out 30 ans… Nos produits ne sont pas vraiment indexés, non plus. Par contre, beaucoup de nos intrants, nos matériels ou autres, continuent à monter. Il y a un problème. Sans parler de l’accès à terre, par rapport à la France. En Belgique, le foncier a quand même grimpé. Des terrains sont à vendre tout près de chez moi, personnellement, je ne sais pas les acheter. L’accès à la terre est quand même un problème. A mon avis, il y a plus de points négatifs que de positifs. On peut dire une note positive qui est un retour, quelque part, au local mais les habitudes peuvent vite changer donc, ça n’est pas évident. Il est vrai que c’est une facilité d’avoir tout au même endroit dans une grande surface, de faire ses courses en un seul point. Il faudrait qu’on évolue dans nos magasins, essayer d’avoir un peu de tout aussi. Par exemple, sur un autre point, ce qu’il me fait peur, en tant que producteur de viande, c’est l’arrivée de la viande de synthèse. Et les gens ont l’air curieux d’essayer ça donc je me dis que ça va se vendre quand même. Et tout le mouvement pour le bien-être animal qui est derrière ça. Ces gens-là sont peu nombreux mais font beaucoup de bruits. Ils sont très peu en pourcentage, mais on a l’impression qu’ils sont 50% car ils font beaucoup parler d’eux. Ils savent bien communiquer. Donc, l’arrivée de la viande de synthèse, à l’avenir, ça me fait peur. Je ne sais pas comment on pourrait combattre cela. Mais je pense, pour finir sur une note positive, qu’à l’avenir il y aura la place pour des fermes, pas de grandes tailles, mais qui font un peu de tout avec une vente directe. Je pense qu’il y a un avenir pour ces petites fermes-là. Il existe des coopératives et c’est chouette, c’est chouette de travailler avec eux. Il faudrait plus de coopératives comme cela. Mais c’est dommage d’en arriver là car le politique n’a pas fait son boulot. Ce n’est pas normal que ça soit les coopératives citoyennes qui offrent la terre aux agriculteurs. Heureusement qu’il y a ça, et ces citoyens-là sont préoccupés par la situation mais ça n’est pas la majorité. »