Changement climatique : quel impact du gel tardif pour l’avenir des vergers wallons ?

Centre Fruitier Wallon (CEF)_O.Warnier_fleur pommier gelée

Avec le réchauffement climatique, les hivers sont plus doux et la nature est de plus en plus avancée. Les épisodes de gel au printemps s’intensifient et provoquent des dégâts catastrophiques sur les cultures de fruits. En 2017, plus de 65% de la récolte belge de pommes a été perdue à cause du gel tardif. Les épisodes de ce début avril vont-ils se reproduire? Comment les producteurs wallons doivent-ils s’adapter? Comment luttent-ils pour protéger leurs cultures?

Quels sont les effets du changement climatique?

Sur les 20 dernières années, le cycle de croissance des végétaux est avancé de 1 semaine à 15 jours. Des hivers de plus en plus doux signifient une floraison de plus en plus précoce. De ce fait lors des épisodes de gel du printemps, les fruits sont à un stade de leur développement plus sensibles. En effet, les bourgeons peuvent résister à des températures de -2 à -4 °C alors que les fleurs ne résistent qu’à des températures de -1,5 à -3 °C et les jeunes fruits de -1 à -2 °C.

Auparavant sans conséquence majeure, le gel printanier de ces dernières années agresse à présent la plante à un moment où elle est déjà en période de floraison. Ce n’était pas le cas avant les années 2000: les végétaux étaient encore à un stade de croissance où ils pouvaient davantage résister.

En 2012, 30 % de la récolte de pommes et de poires ont été perdues à cause du gel. En 2017, on parle de 65 % de la récolte de pommes et 20 % de la récolte de poires perdus et en 2020 de 35 % de la récolte de pommes et de 10 % de la récolte de poires.

Importance du microclimat et de la durée du gel

Toutes les régions peuvent être touchées par le gel, bien que les Provinces les plus concernées sont Namur, Liège et Luxembourg.

La durée de l’épisode de gel et le microclimat du verger sont des éléments déterminants : les vergers situés dans des creux ou sur des sommets venteux sont plus sensibles au gel car la température réellement ressentie est encore plus basse que la température mesurée. Tant la durée que l’importance du gel ont un impact.

« On  constate pour un même mois, une grande variabilité d’une année à l’autre.  On remarque  que certaines années, au printemps, le nombre de jours de gelées tardives qui provoquent  parfois des dégâts  importants aux cultures fruitières, sont parfois encore assez nombreux. Par exemple, à Ernage, ce nombre se chiffre à 8 jours en 2013 contre 0 en 2011.  En 2017, on avait dénombré un nombre également assez élevé de jours de gel dans cette station météo,  (6 jours), mais c’était alors l’intensité du gel (jusqu à – 3,4°C le 20 avril), qui avait été  la cause d’importants dégâts aux cultures fruitières, d’autant qu’une dizaine de jours plus tôt, les températures étaient déjà printanières avec 22,9°C à Ernage le 9 avril. » Pascal Mormal, Renseignements climatologiques et météorologiques – Institut royal météorologique

Actualité

Le même scénario se déroule actuellement en 2021 en Wallonie et ce depuis le 5 avril : une chute rapide des températures avec chutes de neige et gelées nocturnes jusque -3 °c durant  2 à 3 jours.

Quels moyens pour lutter contre le gel dans les vergers?

Les producteurs disposent de moyens de lutter contre le gel mais ils sont généralement onéreux, d’une efficacité variable et nécessitent beaucoup de travail nocturne pour les producteurs. Seules les variétés à forte valeur ajoutée ont un intérêt à être protégées.

Protection par aspersion

Cette technique est la plus efficace face au gel. Elle consiste à déverser de l’eau préventivement sur la culture, avec un système de pulvérisation par jets brumisant. L’eau gèle alors sur les bourgeons, fleurs ou fruits et forme une carapace qui a un effet protecteur, comme une sorte d’igloo. Cette croûte de protection préservera du grand gel. Ce système est peu utilisé en Wallonie car il nécessite une prise d’eau dans le verger et consomme 30 à 40 m³ d’eau par ha, et les arboriculteurs wallons sont généralement peu équipés de tel système d’irrigation.

Les autres moyens de protection face au gel

  • Les bougies : Cela consiste à allumer des grosses bougies au sein de la culture. Le chauffage par bougies reste un des moyens de lutte privilégié par les producteurs car il a une bonne efficacité pour autant que l’air chaud produit par les bougies parvienne à monter et que le gel ne dure pas plus d’une nuit. Le coût de cette technique est élevé (+/- 2.500 à 3.000€/ha par nuit) et nécessite beaucoup de travail.
Protection d’une culture de cerisier par la technique des bougies – Crédit photo : Centre d’Essais Fruitiers _O.Warnier_
  • Le chauffage par brassage de l’air : il s’agit de recourir à un brûleur à gaz qui chauffe l’air entre les arbres jusqu’à 80-85 °C. L’efficacité de cette technique est moyenne à faible et ne fonctionne pas si la température est trop basse.
  • La Tour à vent : est une technique qui consiste à aller chercher l’air plus chaud en altitude pour le souffler sur les arbres. Son efficacité est limitée et elle est intéressante uniquement si on a de la gelée blanche, car il y a de l’air chaud en altitude.
  • La micro aspersion : cette technique nécessite la moitié d’eau d’une aspersion classique mais elle ne fonctionne pas s’il y a trop de vent durant la nuit de gel.
Technique de micro aspersion dans une culture d’abricots – Crédit photo : Centre d’Essais Fruitiers – O. Warnier

Quelle capacité de résistance selon le stade de développement des productions fruitières?

Selon le moment où la période de gel se produit, la capacité de résistance des arbres fruitiers sera plus ou moins forte.

3 stades de développement

  • Apparition du bouton blanc ou rose : la plante résiste de -2°C à -4°C
  • Début de floraison : la plante résiste de -1,5°C à -3°C
  • Arrivée du petit fruit : la plante résiste de -1°C à -2°C

Quels dégâts provoque le gel printanier?

Généralement, lorsque la fleur est gelée, il n’y a pas de fruits, mais certaines variétés réagissent différemment. C’est comme ça que sur une nuit ou 2, les producteurs risquent de perdre tout ou partie de la récolte.

Sur les cultures de pommes

Si le fruit ou la fleur sont gelés complètement, alors le fruit tombe et la récolte est nulle; si le fruit ou la fleur sont gelés partiellement, alors le fruit sera difforme ou avec une pelure grisailleuse.

Fleur de pommier gelée. Crédit photo : Centre d’Essais Fruitiers (CEF)- O.Warnier_

Sur les cultures de poires

Si la fleur d’une Conférence est gelée, il y aura un fruit, mais plus petit et grisailleux. Sur les variétés comme la Doyenné du Comice, lorsque la fleur gelée, alors il n’ y aura pas de fruit du tout.

Sur les cultures de cerises, abricot, prunes

Lorsque la fleur est gelée, il n’y aura aucun fruit.

Autres fruits (vignes, fraises)

Les Saints de glace ne sont pas une légende et désignent les gelées qui surviennent durant le mois de mai. Cette période est particulièrement critique pour les arboriculteurs car le gel risque de s’attaquer aux fruits comme les fraises ou encore aux vignobles.

  • Les fraisiers sont plantés au mois de mars et doivent subir un certain nombre de jours de froids pour initier la floraison. Ils sont considérés comme rustiques et peuvent résister à des températures jusqu’à -7 -8° C. Il peuvent refleurir après des gelées. Les variétés plus précoces sont de plus en plus répandues – pour répondre à la demande des consommateurs de trouver des fraises le plus tôt possible -, c’est pourquoi elles sont cultivées en pleine terre mais sous tunnels. Souvent on met du paillage pour protéger le plant de fraise sur sa base, et aussi pour préserver le fruit de la boue. Mais cette technique empêche la chaleur au niveau du sol de remonter lorsqu’il fait plus froid et cela empêche d’aller réchauffer la feuille et la fleur qui sont alors exposés au gel tardif. Les périodes les plus délicates pour la culture de fraises sont le début de floraison et le stade où le fruit est vert.
  • Les vignobles, qui sont de plus en plus nombreux à s’étendre en Wallonie, connaissent la même période de sensibilité au gel que les poires et pommes. Les zones en cuvette (plus humides) et en altitude (exposition au vent) sont les plus à risque. C’est pourquoi dans les lieux les plus exposés on privilégie des cépages plus tardifs.

Sur les cultures de petits fruits (framboise, myrtille,…)

La framboise est une plante rustique qui résiste aux périodes de gel et qui se développe plus tardivement. Les problèmes de gel printanier ne touchent que les variétés précoces de framboisiers. Ces cultures nécessitent beaucoup de main d’œuvre et une vigilance face aux agents pathogènes extérieurs.

Sur les cultures de courges et de légumes

Les légumes peuvent aussi souffrir du gel printanier, d’autant plus que, comme les hivers sont de plus en plus doux, les maraîchers ont tendance à semer leurs légumes en pleine terre plus tôt et ceux-ci ne résistent pas au gel.

Quelles sont les variétés les plus résistantes au froid?

Les variétés à floraison plus tardive, comme les pommes Gala ou Golden, sont moins sensibles au gel. Les variétés dites parthénocarpiques (en poires, par exemple les Conférence et Durondeau) sont aussi plus résistantes car il est possible d’avoir des fruits même si les fleurs sont gelées. Par contre, les variétés triploïdes de pommes comme les Jonagold ou les Boscoop sont très sensibles au gel.

Pour les cultures de cerisier, prunier, abricotier, il est fréquent de choisir des variétés à floraison tardive.

Quel avenir pour la production des fruits en Wallonie ?

Conséquence du changement climatique, une des nouvelles orientations est de travailler avec des variétés d’arbres fruitiers plus tardives, c’est-à-dire dont la floraison arrive plus tard. Le désavantage des variétés tardives est qu’elles se développent en même temps que ses (insectes) ravageurs, alors que les variétés précoces sont déjà assez développées avant l’apparition de ces derniers. Le producteur doit donc jongler entre variétés précoces moins exposées aux ravageurs mais bien certaines années aux dégâts de gel et variétés tardives mieux protégées du gel mais exposées aux ravageurs.

De plus, afin de se différencier et créer une valeur ajoutée sur le marché, la recherche agronomique travaille actuellement sur des essais de variétés tolérantes à la tavelure, et gustativement intéressante. Elles sont actuellement principalement destinées à la commercialisation en circuits courts.

Le producteur doit avoir une excellente connaissance de son verger, de l’exposition, du micro-climat sur l’exploitation, du degré d’exposition au vent et des températures ressenties. Il doit en conséquence choisir les variétés les plus adaptées à son verger.

C’est pourquoi, pour les aider dans leurs prises de décision, les producteurs wallons sont entourés par des acteurs privés et publics, tel que les institutions, les centre-pilotes, les organismes de recherche agronomique… Les producteurs reçoivent à la fois des avertissements quant aux épisodes météo, mais aussi des conseils adaptés pour les aider à gérer au mieux leurs productions.

A propos des productions arboricoles

Quelle est la durée de vie d’un verger?

Le métier d’arboriculteur est plein d’incertitude car en quelques jours une grande partie, voire toute une récolte annuelle, peut être perdue. Planter un verger est un engagement d’une vie car, en fonction des variétés un verger de pommes dure 40 ans et un verger de poires 60 ans. Les arbres commencent à produire de fruits comestibles vers 5 ans et atteignent leur optimum vers 15 ans.

A propos des producteurs wallons

  • Il y a 80 producteurs professionnels en fruitiers, principalement en cultures de pommes et poires;
  • La Wallonie recense 800 ha de poires ; variété la plus connue de Wallonie : la Conférence, qui représente 90% des surfaces;
  • La Wallonie recense 400 ha de pommes; variété la plus connue de Wallonie : la Jonagold;
  • Il y a 1 producteur wallon pour 9 flamands, ce qui réduit également l’accessibilité au marché.
  • En moyenne, les producteurs wallons ont des cultures arboricoles de 15ha.

Sources

  • www.legumeswallons.be
  • IRM (Institut royale météorologique) : www.meteo.be
  • Entretien avec le GFW (Groupement des fraisériste wallon) : Jérome Zini
  • Entretien avec le CIM (Centre interprofessionnel maraicher) : Alain Delvigne
  • Entretien avec le CEF (Centre d’essais fruitiers ) : Olivier Warnier